Le futur est-il vegan ?


On a dernièrement beaucoup parlé de véganisme, sans doute parce que ce mode de vie se popularise et qu'il est beaucoup commenté. Face au développement des pratiques vegans, beaucoup de débats ont lieu sur son utilité, sur sa possibilité, sur ce qu'elle apporte à l'humanité et à l'animal. On pensera par exemple à cette récente tribune anti-vegan parue dans Libération et les réponses qu'elle a eu (pas seulement de vegans, d'ailleurs).
Le véganisme déchaine les passions, parce que les revendications vegans et antispécistes remettent en cause des habitudes et des pratiques inscrites depuis longtemps dans nos modes de consommation.

J'aimerais à mon tour apporter mon avis sur le sujet, pas tant d'un point de vue factuel (il y a tellement d'informations contradictoires et biaisées de tous les côtés qu'il est difficile de trouver des choses qu'on peut affirmer justes avec certitude), mais plutôt partager mes réflexions sur le véganisme, ce qu'il apporte actuellement et sur son futur.
J'aimerais plus précisément questionner le projet politique du véganisme, ses moyens d'actions et l'efficacité et la pertinence de ces propositions, à court, moyen et long termes.

Pour ce qui me concerne personnellement, je suis vegan depuis bientôt un an et demi, principalement pour des raisons éthiques et écologiques. Même si je vais surtout prendre sa défense, je saurais également être critique du véganisme. Je précise également dès à présent que les critiques que je ferais aux modes de consommation non-vegan visent avant tout leurs organes de production et leur industrie plutôt que celleux qui y participent encore.


Véganisme, végétalisme, antispécisme, droits des animaux


Pour commencer, revenons sur les termes qui tournent autour du véganisme et ce qu'ils peuvent désigner.
Pour reprendre une définition de Wikipédia assez claire, « véganisme » désigne « un mode de vie consistant à ne consommer aucun produit issu des animaux ou de leur exploitation » (définition apparemment adaptée du Larousse 2015).
Le véganisme se traduit en effet par un régime alimentaire végétalien (principalement à base de végétaux) excluant toute alimentation issue d'animaux morts (viande, poisson, etc.) ou vivants (œufs, produits laitiers, etc.), l'un comme l'autre étant le résultat de l'exploitation d'espèces animales. À ce régime végétalien, se rajoutent pour les vegans l'exclusion d'autres produits non-comestibles mais également issus de l'exploitation animale (cuir, laine, fourrure, etc.) ou ayant été testés sur des animaux (médicaments, cosmétiques, etc.), ainsi que l'opposition à l'utilisation des animaux dans les loisirs humains (chasse, exhibition d'animaux captifs, combats, etc.).
Ce qui rentre exactement dans la définition de véganisme peut varier d'une personne à l'autre, mais l'idée générale est de ne pas consommer ce qui est issu de l'exploitation animale.

« Vegan » est l'adjectif pouvant à la fois désigner quelque chose (un aliment, un comportement, etc.) ou une personne qui correspond à ce que le véganisme prône. J'utilise ici le terme anglais « vegan » (par habitude et parce qu'il a l'avantage d'être épicène), mais il existe les versions francisées « végan/e ».
On parle également parfois (au Québec notamment) des personnes véganes et du véganisme par l’appellation de « végétalisme intégral ».
Là encore, tout le monde n'est pas d'accord sur tout ce qui et quoi est véritablement vegan.

L'antispécisme est souvent l'idéologie qu'on retrouve associée au véganisme. Elle s'oppose au spécisme, à savoir la considération qu'une ou des espèces sont supérieures à d'autres, et en particulier à considérer l'espèce humaine supérieure aux autres espèces. L'antispécisme vise donc au traitement équivalent des espèces entre elles, et donc, à la fin de l'exploitation des autres animaux par l'espèce humaine. Je reviendrait plus loin sur cet aspect.

Cette idéologie peut se développer sur ses aspects juridiques par la mise en place de droits des animaux : respecter les besoins et intérêts des animaux, légiférer sur leur statut en les considérant comme des personnes légales plutôt que comme des objets que l'on peut posséder et utiliser.


Bref, même si tout ce que l'on met derrière tout ces termes peut varier d'une personne à l'autre, on peut globalement les faire converger vers une idée : celle de ne pas abuser mais au contraire de protéger les animaux, en particulier de l'exploitation humaine.


Pratiques vegans


Le véganisme est avant tout un ensemble de pratiques proposant des modes de consommation n’engendrant pas (ou en tout cas, le moins possible) de souffrance et d'exploitation animale.
Un comportement qui suivrait des lignes vegans entraine donc le boycott des comportements abusifs sur animaux et des produits d'origine animale, notamment autour de la nourriture.

Un régime vegan repose essentiellement sur des produits d'origine végétale : les céréales, les légumes, les légumineuses, les fruits et les oléagineux. En diversifiant les aliments et leurs différents apports, on peut suivre un régime vegétalien sans être plus en manque de quoi que ce soit par rapport à un régime omnivore. Seule la vitamine B12 n'est pas obtenable de manière suffisante et il est fortement recommandé de l'obtenir par des compléments alimentaires.

Il est tout à fait possible de manger des repas complets et équilibrés avec de la nourriture d'origine végétale. Avoir des repas qui soient à la fois complets, équilibrés, diversifiés, simples, peu chers, rapides et simples à faire est en revanche plus compliqué à moins de sacrifier au moins un de ces aspects (comme c'est le cas pour tout les régimes, en fait).
L'alimentation vegan est victime de beaucoup de préjugés (tout ce qui entoure le véganisme, en fait), surtout par méconnaissance du sujet.

Au delà de la nourriture, les pratiques vegans encouragent également le boycott des produits d'origine animale utilisés pour d'autres raisons, comme pour les vêtements (cuir, laine, fourrure) ou des produits qui ont été testés sur des animaux (les cosmétiques en particulier). Les loisirs humains reposant sur la souffrance animale sont également à bannir, qu'il s'agisse de chasse, de combats ou de spectacles d'animaux en captivité, surtout quand elles ont lieu dans des conditions déplorables.
Tous les vegans n'ont cependant pas la même vision sur ce qui intègre ou pas la pratique du véganisme, par exemple autour des questions sur les animaux domestiques ou sur la place que devraient avoir les animaux dans notre société.

Plus largement qu'un simple mode de consommation, le véganisme peut aussi être un engagement politique porteur de revendications.


Militantisme et projet politique


Il y a plusieurs raisons qui peuvent pousser à devenir vegan : par préférence gastronomique, pour limiter sa consommation d'autres produits, par effet de mode, et sans doute d'autres, mais il me semble que la motivation la plus courante est surtout éthique.
Le véganisme est porteur d'un projet politique antispéciste : sa finalité est que l'être humain cesse toute exploitation des espèces.

Beaucoup de vegans militent contre le spécisme en montrant que la consommation de produits d'origine animale repose sur leur souffrance.

Tuer des animaux pour les consommer est évidemment générateur de souffrance animale, qu'il s'agisse des conditions d'élevage, de transport, de pêche ou d'abattage. Un animal ne désire évidemment pas voir sa vie être écourtée pour être consommé. C'est un fait qui peut être difficile à regarder en face lorsque manger quotidiennement des animaux morts est inscrit dans nos pratiques, mais c'est pourtant une réalité.

La chose est également vraie lorsqu'il s'agit de produits issus d'animaux vivants. L'exploitation dont sont victimes ces animaux est source de souffrance, surtout par les conditions industrielles de cette production (espace insuffisant, maltraitance, inséminations forcées, etc.).

Le militantisme vegan passe par un changement personnel de comportement mais aussi par de la sensibilisation : prendre la parole pour exposer la violence sur laquelle repose certains modes de consommation. Cette sensibilisation peut se faire par des manifestations, lors d'événements, de salons, par distribution de tracts, sur internet, en discutant avec des éleveurses, avec sensation en filmant ce qu'il se passe dans les abattoirs ou simplement en proposant des repas vegans...

Le militantisme vegan a tendance à beaucoup reposer sur la culpabilisation des non-vegans (pas forcément volontairement, d'ailleurs), parce que les non-vegans participent à la violence envers les animaux. On ne peux pas nier cette participation, mais les responsables de la souffrance animale ne sont pas les consommateurices. Les responsables sont les industries qui organisent la production des produits d'origine animale.
On consomme ce qui est produit. Comme la production alimentaire est contrôlé par des sociétés capitalistes ayant établi leur richesse sur l'exploitation humaine et animale, il est plus compliqué de consommer alternativement. Les lobbys de la viande, de la pêche, de la chasse ou encore de l'industrie laitière s'assurent du maintien de la consommation actuelle, au détriment des animaux et de l'écologie, à base de grands coups de communication légitimant la violence subie par les animaux (avec par exemple le formidablement fourbe « Les produits laitiers sont nos amis pour la vie », les animaux utilisés pour les produire pensent certainement différemment).

Il y a un certain nombre d'associations qui permettent d'organiser le militantisme vegan. La PETA (People for the Ethical Treatment of Animals) est peut-être une des plus connue, mais aussi une des plus critiquables (notamment dans sa communication qui n'hésite pas à instrumentaliser d'autres luttes).
De nombreuses actions sont actuellement menées par des associations comme L214 et 269 Life, qui exposent les conditions d'élevage, sensibilisent, organisent des manifestations, ou encore l'ONG Sea Shepherd qui intervient de manière directe en mer contre les pratiques illégales et non-éthiques sur la vie marine.
Enfin, la protection et les avancées éthiques concernant les animaux peuvent également être portées directement sur l'échiquier politique, par exemple avec le Parti Animaliste qui se développe un peu partout.

Le véganisme est parfois porté par des actions illégales, dans la continuité de ce que préconise la désobéissance civile et l'action directe. S'introduire dans un abattoir, ouvrir des barrières, libérer des animaux, etc. sont des actions législativement illégales mais moralement menées pour le bien des animaux.
Ces actions sont donc compliquées à condamner, même en étant non-vegan, au risque de soutenir sciemment la souffrance animale.

Le militantisme vegan s'étend sur de nombreux terrains et tout le monde n'y est pas d'accord sur tous les points. On peut néanmoins regrouper une ligne commune : un traitement plus éthique des animaux avec comme objectif final la fin de leur exploitation.


Les arguments des non-vegans


Beaucoup de non-vegans sont immédiatement sur la défensive lorsqu'on évoque le véganisme et vont rapidement déployer des arguments pour défendre leur position et surtout tenter de trouver des failles dans le véganisme et dans le comportement des vegans.
J'aimerais revenir sur ces arguments, parce qu'on entend souvent les mêmes et qu'ils sont assez critiquables.

« C'est dans notre nature de manger de la viande »
C'est peut-être un des arguments qui a le moins de sens mais qui est le plus utilisé dès qu'il s'agit d'éviter toute remise en cause de ses pratiques (l'argument du « naturel » est également employé pour légitimer un statu quo tel que l'ordre patriarcal ou hétéro). C'est d'ailleurs un argument qu'utilisent parfois certain·e·s vegans (à tort, à mon avis).
On peut considérer que plus rien n'est « naturel », si « naturel » désigne un état des lieux originel, le propre de la vie étant d'évoluer. C'est pourquoi on peut aussi considérer que « tout est naturel » à partir d'une moment où quelque chose a lieu (ce n'est pas quelque chose qui a lieu hors du temps et de l'espace). Le « naturel » ne désigne rien de concret. Si on considère que ne pas manger de viande n'est pas naturel, alors, par exemple, en quoi la faire cuire, cultiver des plantes ou élever des animaux le seraient ?
 S'opposer à un état perçu comme « naturel » n'est d'ailleurs pas forcément mauvais. Ce n'est pas parce que quelque chose a lieu ou a eu lieu que c'est une bonne chose qui doit être maintenue. 
En ce qui concerne l'alimentation, il faut déjà prendre en compte que celle-ci est le résultat d'un développement culturel variant selon le lieu et l'époque. Ensuite, si se nourrir d'animaux a pu être d'une grande aide évolutive et de développement, l'humanité (ou plus exactement : une partie de l'humanité) a aujourd'hui les moyens de se nourrir sans consommer de produits d'origine animale.
L'argument du « naturel » ne repose sur rien et ne fait que ralentir les progrès pouvant être réalisés.

« Les animaux ne peuvent plus se passer de l'humanité »
Contrairement au premier argument qui maintient l'illusion d'un ordre naturel universel inchangeable, l'argument que certains animaux ne peuvent plus se passer de l'humanité permet de justifier le contrôle humain sur la vie des animaux, en particulier leur élevage à des fins de consommation.
On peut fortement douter que des animaux élevés en captivité qui voient leur vie écourtée pour être mangés fassent partie de leurs intentions.
Le véganisme ne s'oppose pas forcément à l'intervention de l'humain sur l'animal (au contraire même, quand il s'agit de les protéger), il s'oppose à leur exploitation, surtout dans le contexte de sur-production industrielle. Il cherche à créer une cohabitation pacifique entre les humains et les autres animaux.

 « Et si on prend des produits dans une ferme qui prend bien soin de ses bêtes, où elles ne souffrent pas ? »
Il est courant que les non-vegans cherchent des failles dans le véganisme d'un·e individu·e à grand coup de « et si...», pour voir jusqu'où iels seraient prêt·e·s à ne pas consommer de produits d'origine animale. Le véganisme est un comportement qui se prend de manière globale, on ne peux pas toujours se permettre d'étudier toutes les conséquences de chaque action. On peut comprendre qu'il faille l'adapter selon telle ou telle situation.
Reprenons l'exemple évoqué : si les animaux d'une ferme sont bien traités, les vegans ne pourraient-ils pas consommer ce qui en est issu ? Les réponses pourront varier d'un·e individu·e à l'autre mais je pense qu'on puisse globalement considérer que tuer un animal dans le but de le consommer ne conviendra pas. Quelque soit la méthode employée, l'animal meurt et il est peu sûr que finir dans l'assiette faisait partie de ses intentions.
Pour ce qui est des produits issus d'animaux vivants prétendument bien traités, il faudrait déjà être sûr·e que ce soit bien le cas : on a que la parole d'un·e éleveurse qui a tout intérêt à le faire croire. Tant qu'on achète le produit, il y a toujours derrière l'idée d'exploiter des animaux pour en tirer du profit, les animaux subiront donc sans doute des choses non-désirées.
Dans le cas où il s'agirait de produits qu'on aura récupéré avec une complète certitude de bon traitement et sans que ce soit contre la volonté d'un animal, on peut peut-être considéré que ce n'est pas contraire à un comportement vegan. Cependant, il existe plein d'autres façons plus sûres de consommer vegan qu'en étudiant toutes les causes et conséquences d'un produit issu d'un animal : consommer quelque chose qui n'en est pas issu, ce que les vegans font déjà sans avoir besoin de considérer d'autres situations.

 « Et les plantes ? Peut-être qu'elles souffrent aussi ? »
Ou parfois appelé « le cri de la carotte », c'est un argument un peu bête mais très pratique pour décrédibiliser les vegans en les rendant coupables d'une violence imaginaire et en invisibilisant la souffrance animale.
Le problème de la consommation carnée et non-vegan, c'est la souffrance qu'elles engendrent. Les animaux sont sentients, c'est-à-dire qu'ils sont en mesure de ressentir des choses, des émotions, de penser. Ils sont donc en mesure de ressentir du plaisir ou de la souffrance, d'être heureux ou malheureux. Ce n'est a priori pas le cas pour les plantes, qui n'ont pas de système nerveux. Les animaux d'élevage étant nourris de végétaux, les non-vegans seraient donc de toute façon également coupables de cet hypothétique crime.
Une plante ne cherchera pas à fuir sa récolte parce qu'elle ne peut pas penser de cette façon, n'engendrant pas de souffrance. Un animal, en revanche, fuira autant que possible sa mise à mort et en souffrira.

« La souffrance animale est aussi générée par l'agriculture car elle n'est pas toujours écologique »
Un argument vrai, mais qu'il faut reconsidérer avec le désastre écologique qu'est l'élevage.
L'agriculture peut en effet avoir des conséquences graves sur l'environnement et donc, par extension, sur la vie animale, par exemple avec la culture d'huile de palme ou tout autre culture entrainant de la déforestation massive. Le problème vient surtout de la manière dont est faite cette production, puisque c'est dans les conditions de sa production que cette agriculture pose problème.
L'agriculture requiert une quantité d'eau importante mais pas autant que ce que demande l'élevage. On estime que près des 3/4 des terres cultivables sont actuellement utilisées pour l'élevage et son alimentation, une grande partie des terres cultivées servant à nourrir les animaux d'élevage. Il est nécessaire d'utiliser une dizaine de protéines végétales (nourriture donnée aux animaux d'élevage) pour parvenir à créer une seule protéine animale (Lire Quand l'industrie de la viande dévore la planète, Agnès Stienne).
Si ces terres étaient progressivement transformées en terres utilisées pour l'agriculture, la pollution se verrait réduite tout en générant directement plus de production végétale et moins de souffrance animale.

« Moi je trouve ça horrible que les [telle population] mangent des [tels animaux] »
S'offusquer parce que certaines personnes consomment quelque chose qu'on ne consomme pas soi-même (exemples : les insectes, les chevaux, les chiens...) tout en le faisant pour d'autres dénote d'une certaine hypocrisie teintée de racisme. Ce n'est pas forcément un argument contre les vegans mais contre des pratiques alimentaires qu'on juge horribles. Les vegans critiqueront également ces pratiques tant qu'elles exploiteront des animaux, mais on ne peut pas le faire sans reconsidérer ses propres pratiques.
Les habitudes alimentaires et la culture gastronomique sont souvent instrumentalisées pour défendre des idées racistes (parfois involontairement), par exemple en ne parlant de souffrance animale que pour la cuisine halal tout en organisant fièrement des fêtes du cochon, des chasses ou des corridas.
Quand on ne se soucie du bien des animaux que lorsqu'il s'agit de pratiques auxquelles on ne prend pas part tout en les faisant souffrir par d'autres pratiques, on peut se remettre en question...

« J'aime trop la viande pour arrêter »
Il ne s'agit pas vraiment d'un argument mais on l'entend souvent. On rentre dans les goûts et préférences personnelles, donc a priori, on ne peut pas y répondre grand chose. Les vegans ont décidé de mettre de côté leurs préférences alimentaires au profit du bien-être animal. Il est fort probable qu'il y ai au moins quelque chose qui puisse convenir à chacun·e dans l'alimentation végétalienne (des légumes, des fruits, des féculents...). Beaucoup de non-vegans ont l'impression que les vegans mangent peu ou mal, parce qu'on entretient le mythe des carences ou parce qu'on a vu qu'au restaurant les vegans ne prenaient que de la salade (parce que dans les restaurants non-vegan, le repas végétalien est, quand il y en a, généralement assez frugal). Mais il y a aussi plein de plats bons, originaux, complets et nourrissants qu'on peut réaliser à partir d'aliments végans.
Ensuite, même sans devenir vegan, réduire sa consommation de produits d'origine animale est déjà un premier pas important, avec potentiellement encore plus de conséquences positives si fait à une échelle mondiale que seulement quelques vegans arrêtant complétement.


Les non-vegans sont souvent sur la défensive dès qu'on aborde le véganisme et étalent de nombreux arguments pour le décrédibiliser afin d'éviter que leurs pratiques ne soient remises en cause. Mais si les pratiques non-vegans sont critiquables, c'est aussi le cas de certaines pratiques vegan, en particulier dans son militantisme.


Les limites du véganisme


Si j'ai jusque là surtout pris la défense du véganisme, il me faut à présent revenir sur ses limites. 
Les plus gros problèmes que j'y vois ne viennent pas du véganisme en lui-même mais de ses militant·e·s et leur façon de lutter pour l'antispécisme.

Je l'ai déjà évoqué, mais le militantisme vegan repose selon moi trop sur la culpabilisation des non-vegans. Il est difficile de remettre en cause des pratiques qui durent depuis notre naissance, surtout quand le reste du monde ne le fait pas. De nombreuses personnes ne peuvent pas devenir pleinement vegans, et ce pour diverses raisons (économiques, géographiques, sociales, médicales, etc.). Il ne faut pas sous-estimer la pression sociale que l'on peut subir en étant vegan, la moindre de ses actions étant jugées à la recherche de failles. Il est difficile de devenir vegan quand personne d'autre autour de soi ne l'est.
Sensibiliser à la cause animale est important mais culpabiliser uniquement les non-vegans sans remettre en cause la production reposant sur l'exploitation qu'il y a derrière ne mène à rien.

Il y a également un gros problème d'instrumentalisation des autres luttes.
De nombreux vegans assimilent la condition animale au racisme et à l'esclavage, une comparaison elle-même raciste, qui nie toutes les implications de l'esclavage, de la colonisation, de l'impérialisme occidental et du suprémacisme blanc.
On trouve également du sexisme, en comparant cette fois la condition animale à celle des femmes. C'est particulièrement critiquable lorsqu'on met sur le même plan l'insémination forcée que subissent les femelles d'élevage avec le viol humain, résumant ainsi le viol a un simple acte sans consentement et niant toute la culture patriarcale et les rapports sociaux qu'il y a derrière. Il y a par exemple des vegans (et même, des hommes vegans) qui prétendent qu'on ne peut pas être féministe tant qu'on ne supporte pas « toutes les femelles », ramenant donc les femmes humaines à de simples femelles de même importance que des vaches laitières...
Toutes ces comparaisons sont problématiques parce les individu·e·s sont comparé·e·s à des êtres perçus comme inférieurs (les animaux). On peut encourager à un statut supérieur des animaux sans le comparer à l'histoire et l'actualité de personnes oppressées au sein de l'humanité, surtout quand ces comparaisons ont déjà eu lieu pour assurer leur domination.
Les inégalités et discriminations humaines ne sont pas comparables à celles entre les espèces, les causes et les conséquences ne sont pas les mêmes. Instrumentaliser ces oppressions pour lutter contre le spécisme est nuisible à toutes les luttes impliquées.

L'antispécisme donnant la parole non pas aux victimes mais aux coupables ayant décidé d'arrêter de l'être, le militantisme vegan est bien pratique quand on veut lutter pour quelque chose sans que sa parole et sa propre position soit elles-même remises en cause. C'est sans doute une des raisons pour laquelle autant de personnes privilégiées dans les différents rapports d'inégalité propres à l'humanité sont actives dans ce militantisme.

S'il faut s'opposer vivement aux industries responsables de l'exploitation animale, il faut bien plus être dans la discussion avec les personnes y travaillant, en particulier les petit·e·s éleveurses ou les employé·e·s de l'industrie, pour leur faire prendre conscience de ce à quoi iels participent, en gardant en tête que ce n'est pas forcément leur choix. On ne peut pas vraiment vivre en-dehors du système capitaliste et tout revenu est bon à prendre, surtout pour des personnes précaires. Aussi, travailler dans l'exploitation animale est un acte compréhensible et l'établissement d'une société vegan doit également prendre en compte les aspects capitalistes dont elle devrait se débarrasser. Il faut faire en sorte d'assurer une reconversion, par exemple de l'élevage à l'agriculture. La fin de l'exploitation animale doit aussi intégrer la fin de l'exploitation humaine.

Il est impossible d'être parfaitement vegan. La moindre de nos actions a un impact à plus ou moins long terme sur les animaux. Le simple fait de vivre pollue. L'argent dépensé, même de manière vegan, finira par être utilisé d'une manière participant à l'exploitation animale tant que la société fonctionnera de cette manière.
C'est pourquoi tout objectif de pureté vegan est actuellement illusoire. On peut seulement essayer d'être aussi vegan que possible, en tentant de réduire au maximum sa participation dans l'exploitation animale.

Le véganisme n'aura que peu de conséquences tant qu'il restera avant tout un choix de vie individuel. Tant que les organes de productions ne seront pas redéfinis dans ce qu'ils produisent, dans leur façon de produire et dans leur propriété, le véganisme ne peut rien apporter de suffisant.
Les actions individuelles permettent de se donner une bonne conscience, de montrer que d'autres modes de vie sont possibles. Mais elles sont surtout symboliques quand le reste du monde fonctionne différemment. Tout le monde n'a pas la possibilité de prendre part aux modes de vie alternatifs lorsqu'on les limite à un choix individuel qui demande des efforts de n'importe quel type.

L'antispécisme vise à un traitement égalitaire entre les toutes les espèces. Cependant, je ne crois pas qu'il soit à appliquer automatiquement littéralement. C'est peut-être sur cet aspect que les vegans me suivront le moins.
Accorder plus d'importance à certaines espèces peut se défendre, par exemple pour privilégier une espèce en voie de disparition.
S'il peut être problématique de considérer l'humanité supérieure aux autres espèces, c'est surtout le fait que l'humanité exploite les autres animaux qui pose problème. L'humanité est aujourd'hui capable de beaucoup de choses, du meilleur comme du pire. Si elle est responsable de l'état déplorable de la planète, elle est aussi la principale solution capable de son amélioration. Elle est la seule espèce actuellement capable de se soucier autant du sort des autres.
Plutôt que parler de supériorité, je préfère considérer que l'espèce humaine est importante, qu'elle a un certain potentiel. Ce qui ne veut pas dire que les autres espèces ne le sont pas et qu'elles méritent d'être exploitées, au contraire.
J'ai un peu de mal avec la formule « animaux non-humains » parce que je ne pense pas que l'humanité soit comparable aux autres espèces animales. L'humanité est une espèce ayant beaucoup évolué, elle est sortie (dans son ensemble) de la simple dynamique de survie et connaît des situations qui lui sont propres, différentes de ce que connaît le reste du monde animal, ou en tout cas dans des proportions très différentes. La vie humaine diffère à présent beaucoup de la vie animale. Les comportements humains se basent bien plus sur le social et l'économie au sein de son espèce que sur des facteurs extérieurs. Le simple fait que je puisse écrire ces lignes, que vous puissiez les lire et que vous ayez un avis dessus nous démarque déjà des autres animaux.
Je le répète, cela ne veut pas dire qu'il faut se considérer supérieur et de ce fait légitimer le contrôle sur la vie des autres espèces pour son propre profit.
Je pense que c'est un point de vue compatible avec le véganisme, aux vegans de me dirent ce qu'iels en pensent.


Si le véganisme me parait donc un objectif important, il faut l'envisager en prenant en compte tous les aspects économiques, politiques, sociaux, écologiques, géographiques, historiques et culturels de nos sociétés.

 

Conclusion : Le véganisme est un objectif à long terme


Je pense que le véganisme propose des choses intéressantes pour le futur de la condition animale, de la planète et de l'humanité. Cependant, il est nécessaire de questionner la façon de ce véganisme doit s'établir.

Nous faisons face à des crises d'ampleurs majeures, des inégalités sociales propres à l'humanité aux problèmes écologiques menaçant la planète dans son intégralité. Il est évident qu'il est nécessaire de changer l'état actuel des choses pour espérer avoir un futur débarrassé des oppressions, inégalités et violences (et même espérer avoir un futur tout court).
La question qu'on peut se poser, c'est : Que faut-il changer et comment ?

Le véganisme propose une réponse sur le plan écologique et inter-espèces. C'est une vision du futur dans laquelle l'humanité renoncerait à dominer les autres espèces pour son propre profit.
Le véganisme ne suffit cependant pas tant qu'il se limite à une somme de choix individuels et qu'il n'intègre pas la remise en cause des moyens de production à une échelle globale, des buts, des propriétaires et des manières dont cette production se créé. Le véganisme doit être anti-capitaliste pour espérer un changement radical et suffisant. Le véganisme doit aussi prendre en compte l'être humain et ce qu'il se passe au sein de l'humanité (d'un point de vue antispéciste, si on considère l'humain comme un animal comme les autres, alors on doit également souhaiter la fin de son exploitation).

C'est pourquoi le véganisme global est un objectif qui me semble à viser certes, mais sur le long terme, car il ne sera pas applicable sans passer en même temps par la redéfinition complète de la société et de son fonctionnement.
Un changement dans nos pratiques est nécessaire, mais tant qu'il sera abordé uniquement comme un choix individuel, il n'attendra jamais une portée suffisante.

Il est nécessaire que la population mondiale reconsidère dans son intégralité ses modes de vie. Nos façons de vivre (en particulier le modèle occidental) pousse à la surproduction, à la surconsommation. Il faudrait permettre à toutes les populations d'avoir accès à un niveau de vie décent tout en limitant le gâchis des ressources (énergies fossiles, métaux rares, obsolescence programmée,...) et de la vie sur Terre (déforestation, mise en danger d'espèces, exploitation animale,...) que nos moyens de production et de consommation actuels mettent en danger.
On peut s'intéresser à ce que propose la décroissance : sortir du contexte compétitif de la production et de la croissance pour organiser un développement de l'humanité respectueux de l'environnement. La vie sur Terre serait impossible si tout le monde vivait dans les conditions de consommation des plus riches. Il faut donc reconsidérer nos modes de vies d'une manière égalitaire qui permettrait la survie de l'humain, de toutes les autres espèces et de la planète elle-même.

Le véganisme propose donc un choix de vie éthique et écologique à fortement considérer pour le futur de la planète et de toutes ses espèces. Mais il est à aborder en considérant le reste des luttes à mener, afin de reconstruire un monde loin du capitalisme, de ses violences et de sa surproduction, proposant au contraire une vie meilleure pour toutes les espèces et introduisant au sein de l'espèce humaine une réelle liberté et égalité. 


Lydie L.
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Sources et liens utiles
Pourquoi les végans ont tout faux, tribune de Paul Ariès, Frédéric Denhez et Jocelyne Porcher, (qui a motivé l'écriture de cet article)
Et si les végans n'avaient pas tort ?, par L214, et Véganisme : « Réunir tant de clichés en si peu de lignes est un exploit », par Aymeric Caron, réponses à la tribune précédente
Quand l'industrie de la viande dévore la planète, par Agnès Stienne
Pourquoi les lobbies veulent que les végans se viandent, par Arnaud Gonzague
Associations vegans : Fédération végane, Société Végane Abolitionniste, PETA, L214 Éthique & Animaux, 269 Life, Sea Shepherd, Animal Liberation Front, Parti Animaliste
Quelques recettes vegan : Vegan Pratique, Recettes 100 % Végétal, Végémiam, Marmiton (recettes vegan), 750g (recettes de cuisine végétalienne)
Quelques contenus autour du véganisme : Les Carencés (podcast), Jihem Doe (YouTube), Gurren Vegan (YouTube), Eddy Kaiser (musique)
Quelques liens Wikipédia : Véganisme, Végétalisme, Antispécisme, Décroissance
Image de couverture CC0 par Pixel-Sepp
 

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